Les entreprises françaises vont-elles sonner le glas du télétravail ?

Il fut un temps, pas si lointain, où des entreprises pionnières avaient imposé une politique de télétravail à 100% pour l’ensemble de leurs collaborateurs. Ce choix, radical à l’époque, semblait dessiner l'avenir du travail. Pourtant, ces mêmes entreprises reviennent aujourd’hui vers une mobilisation plus présente de leurs équipes, marquant un retour progressif au travail en présentiel à temps plein. Mi-septembre, le géant Amazon a en effet lâché une bombe à retardement en annonçant à ses salariés la fin du télétravail et un retour -sans détour- dans les locaux de leur entreprise. Si ce cas d’école outre-Atlantique fait couler beaucoup d’encre, il faut noter que de nombreuses entreprises françaises ont fait également machine arrière sur le télétravail et/ou réduisent drastiquement le nombre de jours de télétravail autorisés par semaine. Un retour en arrière est-il cependant possible à grande échelle en France ? Non, car l’avenir s’écrit autrement : celui des espaces de travail flexibles.

Pourquoi les entreprises appellent à un retour au présentiel ?

Les raisons évoquées par les entreprises pour justifier ce changement sont nombreuses et semblent s’inscrire dans une logique organisationnelle claire. Parmi celles-ci, on trouve la nécessité de renforcer l’esprit d’équipe et la cohésion, des éléments qui, selon certains dirigeants, ont souffert durant les périodes de travail entièrement à distance. Il s’agit également de rationaliser les processus et les stratégies managériales qui ne s’avèrent pas toujours efficaces à distance, en particulier pour des projets nécessitant une étroite collaboration ou un encadrement rapproché. Ça, c’est la face A, car on note aussi sur la face B, que ces pratiques peuvent aider les entreprises en difficulté à « optimiser » leur masse salariale. La prise de décision d’un choix aussi drastique engendre en effet par effet ricochet des départs volontaires.

Flore Pradère, directrice recherche et prospective bureaux chez le spécialiste de l’immobilier d’entreprise JLL confiait aux colonnes du blog Insolentiae que “ce qui se joue aujourd’hui, c’est un gros débat sur la notion de productivité”. Stephen Schwarzman, le patron du fonds d'investissement Blackstone indiquait même à RFI que « Les gens se sont habitués à rester à la maison parce qu’ils travaillent moins qu’au bureau, quoi qu’ils en disent. » Autrement dit, les télétravailleurs seraient des « téléfeignants ». Les mots sont lâchés…

Rassurons-nous cependant, en France, ce modèle reste à la marge et ne devrait pas connaître de déploiement massif. Les cas de Google et de son annonce similaire l’année dernière, où peu de choses ont évolué depuis, nous montrent que l’application de telles mesures n’est pas toujours simple. Entre les annonces et la réalité, la flexibilité reste un enjeu majeur. Dominique Feu, dans son podcast sur France Inter, explore ces questions en profondeur, rappelant que la fin du télétravail ne signifie pas une marche arrière, mais bien une recherche de nouvelles solutions équilibrées.

Le juste milieu : vers une réinvention des espaces de travail ?

Derrière cette volonté de regrouper à nouveau les équipes dans des bureaux physiques, se cachent toutefois des répercussions profondes pour les collaborateurs. En effet, cette transition bouleverse non seulement leur organisation familiale – gestion des enfants, mobilité géographique, etc. – mais elle remet également en question certains avantages qui avaient fait du télétravail un argument d’attraction et de rétention des talents.

Alors, sommes-nous en train de retirer aux employés les avantages qui leur avaient été offerts ? Pas nécessairement. La clé ne réside pas dans un retour pur et simple au bureau, mais dans une réinvention des espaces de travail. Les grandes entreprises commencent à se demander comment maintenir les bénéfices du télétravail, tout en revenant partiellement à une dynamique plus collective. L'avenir pourrait être marqué, et c’est déjà le chemin emprunté, par la création de "mini-clusters" de bureaux régionaux, des espaces plus proches des collaborateurs et décentralisés par rapport aux sièges des grandes villes. Bienvenue dans l’ère des bureaux flexibles et des bureaux à la demande.

Ce modèle permet de répondre à la fois aux besoins d’organisation des entreprises tout en respectant les exigences des employés. En favorisant une approche hybride, ces espaces de travail flexibles alliant espaces de coworking et espaces de bureaux privatifs, permettent de maintenir un lien de proximité avec l’entreprise et ses équipes. Ce modèle est déjà en place dans certaines entreprises technologiques telles que Scaleway, qui combine télétravail et présentiel encadré avec des périodes d’essai sur site, ou encore avec l’obligation d’un certain nombre de jours en bureau par semaine ou par mois.

Les espaces de travail flexibles : un fort impact économique pour les territoires

Le retour au bureau soulève aussi des questions économiques. Les régions et territoires qui avaient su tirer parti du nomadisme des salariés en télétravail pourraient voir leur économie locale affectée. Le télétravail avait permis de redynamiser certaines zones rurales ou périphériques en attirant des travailleurs qui, libérés de la contrainte géographique, pouvaient vivre en dehors des grandes métropoles. Le nombre de ces espaces a en effet explosé ces dernières années. Avec 3 420 espaces de coworking sur le territoire en 2023 (+23% vs 2022), le paysage des espaces de coworking continue de se structurer et de se développer : IWG, WeWork, Morning, Wojo, Startway, Now, Newton Office, BURO Club ou encore Multiburo apparaissent désormais comme des accélérateurs économiques et sociaux pour les territoires.

Gage que ces derniers ne sont pas prêts à renoncer à la dynamique apportée grâce à ces espaces.

L’avenir s’écrit donc avec la flexibilité en ligne de mire. Il ne s’agit pas de choisir entre le travail à distance ou le travail en présentiel, mais plutôt d’adopter des modèles qui combinent le meilleur des deux mondes. Les espaces de travail du futur seront flexibles, hybrides, et décentralisés. Les entreprises qui réussiront cette transition seront celles qui sauront non seulement répondre à leurs besoins organisationnels, mais également aux attentes de leurs collaborateurs.